Privée de son destin de reine, la demi-sœur du roi Arthur devient la sulfureuse fée Morgane et se dresse contre la tyrannie de la Table ronde et les manipulations de Merlin le fou. Écœurée par le magicien qui joue avec sa vie depuis sa plus tendre enfance, Morgane laisse libre cours à sa colère et assouvit sa soif de pouvoir envers et contre tous : son ancien maître, les hommes, leur nouveau dieu unique et l'ordre établi.
Dans l'imaginaire de la table ronde et de ses chevaliers, celle que le nomme la fée Morgane, demi-sœur du roi Arthur et magicienne, a été présente dès les premières versions du cycle arthurien, d'abord comme alliée d'Arthur, puis comme adversaire. Incarnant depuis toujours la dualité de l'abominable femme séductrice et de la puissance féminine réprimée à l'époque médiévale, elle atteint, dans cette nouvelle version, le statut d'héroïne tragique.
De son point de vue, Arthur devient un usurpateur de trône ; les chevaliers de la table ronde ne valent guère mieux qu'une bande d'ados populaires, comme ceux qui sont systématiquement les joueurs de foot américain dans les séries télé ; Merlin, un être dangereux, pervers et manipulateur qui se joue des hommes comme de pions. Seule contre tous, systématiquement moquée, injuriée, abandonnée, Morgane finit par nourrir une rage sans nom pour cette société qui lui interdit d'avoir son rôle à jouer, et un désir de vengeance qui est ici présenté comme compréhensible et justifié.
Morgane est différente des autres femmes de son époque. Unique héritière du royaume de Tintagel, son père jure que ce sera elle qui montera sur le trône après sa mort. Morgane développe ainsi tout le charisme et l'autorité indispensable à son futur rôle de souveraine. Loin de la femme-procréatrice (comme sa mère) ou de la greluche décorative (comme Guenièvre), elle entend bien qu'on la respecte et qu'on l'écoute au même titre que ses comparses masculins. C'est son éducation et l'amour d'un père juste qui sera à la fois sa force et son fardeau.
Nous avons la chance de vivre à une époque où les mythes peuvent être réécrits pour laisser la parole aux boucs émissaires. A l'instar de la Médée de Nancy Peña et Blandine Le Callet, la Morgane de Fert et Kansala a enfin voix au chapitre et peut laisser éclater toute l'injustice de sa situation. Si certains ont pu reprocher à cette réécriture son côté manichéen, avec des femmes savantes et opprimées face à des hommes stupides et brutaux, j'y vois au contraire un renversement juste des choses. En effet, la légende ne s'inscrit dans l'esprit commun que grâce à des ressorts simples et des personnages archétypes. Le verre est grossissant, le miroir déformant, mais c'est pour faire passer avec plus de justesse et d'évidence un message somme toute subtil et ambigu : la vengeance est-elle la solution? Doit-on se laisser dominer par sa colère? Comment savoir ce qui est juste? Qu'est-ce qui protège notre intégrité? Doit-on user de tous les moyens pour parvenir à ses fins?
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Et - last, but not least! - je n'ai pas encore parlé des dessins. Sans vouloir faire la fangirl à gloussements hystériques, je n'ai fait que feuilleter le livre depuis qu'il est en ma possession pour m'abreuver du style unique, vif, coloré de Stéphane Fert. Avec des influences allant de Klimt à Disney, des références d'ailleurs assumées dont l'album est truffé, il nous livre un univers électrique, teinté de bleu, de magenta et d'or, terriblement moderne et pourtant fidèle à l'aura légendaire du cycle arthurien. Les personnages, parfois réduits à des silhouettes, ne perdent cependant ni vie, ni prestance. Tout passe par le mouvement, les cassures, les regards, les ombres et le cadrage, donnant à ce roman graphique un dynamisme quasi-cinématographique.
En bref, un énorme coup de coeur, au cas où vous n'aviez pas compris. Je vous invite en bonus à jeter un œil au blog de Stéphane Fert, qui regorge de petits trésors.
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