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"Que leur chair soit tendre, pour que vous puissiez mieux les dévorer!"

vendredi 24 juin 2016


J'ai une attirance irraisonnée pour les réécritures de mythes et légendes (on en a déjà parlé), pour les histoires de femmes et pour les univers graphiques contrastés et audacieux. Et là, que vois-je au milieu des nouveautés du printemps? Morgane de Simon Kansala et Stéphane Fert, édité chez Delcourt. Ni une, ni deux, je saute dessus et le dévore. Coup de cœur instantané.

Privée de son destin de reine, la demi-sœur du roi Arthur devient la sulfureuse fée Morgane et se dresse contre la tyrannie de la Table ronde et les manipulations de Merlin le fou. Écœurée par le magicien qui joue avec sa vie depuis sa plus tendre enfance, Morgane laisse libre cours à sa colère et assouvit sa soif de pouvoir envers et contre tous : son ancien maître, les hommes, leur nouveau dieu unique et l'ordre établi.

Dans l'imaginaire de la table ronde et de ses chevaliers, celle que le nomme la fée Morgane, demi-sœur du roi Arthur et magicienne, a été présente dès les premières versions du cycle arthurien, d'abord comme alliée d'Arthur, puis comme adversaire. Incarnant depuis toujours la dualité de l'abominable femme séductrice et de la puissance féminine réprimée à l'époque médiévale, elle atteint, dans cette nouvelle version, le statut d'héroïne tragique.

De son point de vue, Arthur devient un usurpateur de trône ; les chevaliers de la table ronde ne valent guère mieux qu'une bande d'ados populaires, comme ceux qui sont systématiquement les joueurs de foot américain dans les séries télé ; Merlin, un être dangereux, pervers et manipulateur qui se joue des hommes comme de pions. Seule contre tous, systématiquement moquée, injuriée, abandonnée, Morgane finit par nourrir une rage sans nom pour cette société qui lui interdit d'avoir son rôle à jouer, et un désir de vengeance qui est ici présenté comme compréhensible et justifié.

Morgane est différente des autres femmes de son époque. Unique héritière du royaume de Tintagel, son père jure que ce sera elle qui montera sur le trône après sa mort. Morgane développe ainsi tout le charisme et l'autorité indispensable à son futur rôle de souveraine. Loin de la femme-procréatrice (comme sa mère) ou de la greluche décorative (comme Guenièvre), elle entend bien qu'on la respecte et qu'on l'écoute au même titre que ses comparses masculins. C'est son éducation et l'amour d'un père juste qui sera à la fois sa force et son fardeau. 

Nous avons la chance de vivre à une époque où les mythes peuvent être réécrits pour laisser la parole aux boucs émissaires. A l'instar de la Médée de Nancy Peña et Blandine Le Callet, la Morgane de Fert et Kansala a enfin voix au chapitre et peut laisser éclater toute l'injustice de sa situation. Si certains ont pu reprocher à cette réécriture son côté manichéen, avec des femmes savantes et opprimées face à des hommes stupides et brutaux, j'y vois au contraire un renversement juste des choses. En effet, la légende ne s'inscrit dans l'esprit commun que grâce à des ressorts simples et des personnages archétypes. Le verre est grossissant, le miroir déformant, mais c'est pour faire passer avec plus de justesse et d'évidence un message somme toute subtil et ambigu : la vengeance est-elle la solution? Doit-on se laisser dominer par sa colère? Comment savoir ce qui est juste? Qu'est-ce qui protège notre intégrité? Doit-on user de tous les moyens pour parvenir à ses fins?

 
Lisez les quatre premières planches de la BD!
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Et - last, but not least! - je n'ai pas encore parlé des dessins. Sans vouloir faire la fangirl à gloussements hystériques, je n'ai fait que feuilleter le livre depuis qu'il est en ma possession pour m'abreuver du style unique, vif, coloré de Stéphane Fert. Avec des influences allant de Klimt à Disney, des références d'ailleurs assumées dont l'album est truffé, il nous livre un univers électrique, teinté de bleu, de magenta et d'or, terriblement moderne et pourtant fidèle à l'aura légendaire du cycle arthurien. Les personnages, parfois réduits à des silhouettes, ne perdent cependant ni vie, ni prestance. Tout passe par le mouvement, les cassures, les regards, les ombres et le cadrage, donnant à ce roman graphique un dynamisme quasi-cinématographique.

En bref, un énorme coup de coeur, au cas où vous n'aviez pas compris. Je vous invite en bonus à jeter un œil au blog de Stéphane Fert, qui regorge de petits trésors.


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"Le premier qui tente de me faire un câlin, il retourne dans le chaudron."

mardi 23 février 2016


Bon allez, j'avoue, j'ai un touuut petit peu délaissé le blog ce mois-ci. J'avais de bonnes raisons, promis! Pour me rattraper, je vais vous poster quelque chose tous les jours jusqu'au 29. Et n'oubliez pas que vous pouvez participer à mon petit concours jusqu'à samedi!

Aujourd'hui je vais enfin vous parler d'un grand éclat de rire, d'un délice pour les zygomatiques, d'une bande dessinée délicieuse qui se relit sans cesse! Le Grand Méchant Renard de Benjamin Renner, paru chez Delcourt et déjà lauréat de moults prix.

Face à un lapin idiot, un cochon jardinier, un chien paresseux et une poule caractérielle, un renard chétif tente de trouver sa place en tant que grand prédateur. Devant l'absence d'efficacité de ses méthodes, il développe une nouvelle stratégie. Sa solution : voler des œufs, élever les poussins, les effrayer et les croquer. Mais le plan tourne au vinaigre lorsque le renard se découvre un instinct maternel.

Le renard regarde avec admiration et jalousie son comparse le loup, dont la simple vue suffit à déclencher la terreur chez ses victimes ; alors que lui, petit renard pas bien costaud, ne déclenche que l'agacement et la pitié des animaux de la ferme où il tente désespérément, jour après jour, de croquer une poule. 
Le loup et lui montent alors un plan machiavélique ; dérober des œufs, les engraisser, puis dévorer les poussins bien gras! Seulement l'ennui, c'est que le renard n'avait pas prévu de devoir occuper, nourrir, soigner et bercer les petits oiseaux qui dès le premier regard l'ont désigné comme leur maman. Peu à peu, le renard s'attache à son futur dîner, et l'on assiste à plusieurs scènes drôles et tendres entre la maman adoptive et ses trois petits poussins. Que va-t-il bien pouvoir se passer? Le loup et le renard dévoreront-ils les poussins?


On lit Le Grand Méchant Renard parce que ça se dévore. Le dessin, assez simple, à l'aquarelle, est très dynamique et tient plus du storyboard que de la bande dessinée. Les dialogues exquis, empruntant au vocabulaire familier franchouillard, rappelle Kaamelott, version Roman de Renart. Le renard doit faire face à des situations dans lesquelles pourront se reconnaître tous les adultes qui côtoient des enfants : et les plus jeunes lecteurs pourront se ravir de ces animaux somme toute forts sympathiques. On admire le style, l'humour et la finesse avec laquelle Benjamin Renner mène son récit où mine de rien, on parle d'adoption, d'amour parental et de trouver sa place.


Et vu que M. Renner est animateur (il a co-réalisé, entre autres, la merveilleuse adaptation de Ernest et Célestine), il nous prépare trois films d'animation réalisés pour la télévision où l'on retrouvera notre renard préféré dans de nouvelles aventures! Vivement!

"Il arrive toujours un moment où il faut s'en aller."

jeudi 4 juin 2015


Allez, je suis en mode bande dessinée en ce moment! Aujourd'hui, poésie et onirisme avec le superbe titre d'Amélie Fléchais et Séverine Gauthier, L'homme montagne, publié chez Delcourt en mars dernier.

"Grand-père ne peut plus voyager. Les montagnes qui ont poussé sur son dos tout au long de sa vie sont devenues trop lourdes. L’heure est venue pour lui de penser à son dernier voyage, mais c’est un voyage qu’il doit faire seul. L’enfant lui fait alors promettre de ne pas partir tout de suite. Il va aller chercher pour lui le vent le plus puissant qui soit, celui qui peut soulever les montagnes."

Le jeune héros de ce superbe album, l'enfant, s'embarque dans son premier voyage en solitaire pour aider son grand-père à faire son dernier voyage. Durant son périple, il va croiser une ribambelle de créatures qui l'aideront à atteindre son but.

Mais il ne faut pas être un lecteur très éclairé pour comprendre que Séverine Gauthier a surtout voulu nous parler du cycle de la vie, de la mort et de la naissance, de ce qui pousse les hommes à avancer, des voyages et des rencontres qui nourrissent le cœur et l'esprit.

Difficile (pour moi en tous cas) de ne pas songer au Petit Prince de Saint-Exupéry en suivant les péripéties de cet enfant découvrant seul le vaste monde! Le texte n'est que finesse et poésie, on se délecte des dialogues comme des passages en voix off qui vont à l'essentiel. Pas de blabla inutile dans L'homme montagne, uniquement de belles phrases soigneusement pensées qui concentrent à elles seules des idées profondes.


Evidemment, Amélie Fléchais fait des merveilles au dessin. Son style (dont j'étais déjà tombée amoureuse dans Le Petit Loup Rouge ou encore Chemin perdu) sert parfaitement le propos de Gauthier, en donnant à ce conte initiatique un univers onirique, légèrement pâle et flou. Les créatures que l'on y croise ont des allures de monstres primitifs  : on ne sait trop dire si l'inspiration est slave, japonaise, inca, africaine ou tout cela à la fois! Les décors que l'on traverse ont également ce côté polymorphe, ce qui donne au livre une véritable dimension universelle.


Tout le monde peut donc aborder cette bande dessinée, riche de ses différents niveaux de lecture, de ce côté universel, d'un texte intelligent et émouvant. Je n'ai personnellement pas pu m'empêcher de sentir mon cœur se gonfler au fur et à mesure que j'avançais dans le récit, et j'ai même - si, si! - versé une petite larme! 

Si vous aimez les contes, les leçons de vie, les belles histoires, les rêves, alors plongez dans L'homme montagne, un petit trésor qu'on relit plusieurs fois avec tendresse... vous ne le regretterez pas!

 
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