"C'est trop jeunesse" ou comment les adultes expriment malgré eux leur mépris pour l'enfance.

mercredi 20 août 2025

Cela fait longtemps que je veux aborder un petit sujet qui me cause de gros soucis. Rien de grave, rien de terrible, vraiment, on peut tout à fait vivre sa vie avec honnêteté et bienveillance sans jamais avoir à se préoccuper de cette question.

Par contre si vous êtes quelqu’un qui lit et qu’il vous arrive de lire de la littérature de jeunesse, lisez-moi bien attentivement.

Dans ce domaine-là, je commence à m’y connaître : dix ans de librairie spécialisée, des centaines d’albums, de cartonnés et de petits romans dévorés, bref vous devriez déjà le savoir, c’est ma came et mon cheval de bataille. Et il y a une phrase qui me donne envie de prendre des gens en otage pour leur faire un petit cours particulier bien musclé.

Une phrase que je lis et entends partout. Dans la bouche de mes client·e·s, dans les avis de lecture sur les réseaux sociaux, dans les commentaires des parents, dans les pitchs que font mes représentant·e·s, et même parfois quand mes proches me parlent des derniers livres qu’ils ont lus. Ça me chatouille la veine de la tempe façon personnage de manga et je dois faire chaque fois preuve de beaucoup de patience pour que ça ne finisse pas en bras de fer de vocabulaire.

Alors à la place j’écris sur mon petit blog, franchement ça pourrait être bien plus violent cette histoire, je prends vachement sur moi.

Mais Jeanne, quelle est cette phrase, me demanderez-vous?

C’est ce petit commentaire à l’allure innocente, celui que l’on fait quand on ferme un roman jeunesse et qu’on hausse les épaules (parfois avec un peu de dédain) :

“C’est trop jeunesse.”

Parfois, pour certain·e·s de mes client·e·s, c’est une question:

“Vous êtes sûre Madame la Libraire? Ce n’est pas un peu trop ‘jeunesse’?


"C’est trop jeunesse" Mais qu’est-ce que ça veut dire?!

On inspiiiire, on expiiiire…

Ce n’est qu’une petite phrase de rien du tout, prononcée sans penser à mal, mais il faut que cela cesse.

Je sais ce que vous voulez dire. Vous voulez dire : “Je me suis ennuyé·e”, “C’était trop cliché”, “L’écriture est vraiment pas ouf”, “C’était très commercial”, “L’intrigue est trop facile”, “Je ne m’identifie pas aux personnages”, “…

…”Ce n’est pas de la vraie Littérature”.

Si, si, au fond, c’est un petit mélange de tout ça, que ça signifie. Je le sais, parce qu’il suffit qu’un roman jeunesse soit particulièrement aimé par les adultes pour qu’on entende très facilement une autre phrase:

C’est tellement bien que ça pourrait être de la littérature pour adultes.”

Ou bien sa sœur jumelle : “Je n’aurais jamais cru que c’était de la jeunesse.

Surprise! Dès qu’un roman jeunesse rencontre à la fois un succès d’estime et un succès populaire, c’est simple : on essaie de l’extraire de son rayon et on l’habille de bandeaux et de compliments pour le faire passer pour un roman “vieillesse” qu’on a gentiment prêté un temps aux enfants.

Quand “jeunesse” est utilisé comme un adjectif en littérature, c’est pour désigner les livres qui sont pensés, écrits, édités, produits et promotionnés pour les enfants. “La littérature jeunesse”, c’est un terme relativement très récent qui désigne une catégorie de productions littéraires pour la jeunesse, dont les contours sont flous et évoluent en même temps que les “jeunes” eux-mêmes. A chaque époque le rapport de la société à sa jeunesse change et la catégorie même des “jeunes” ne signifie pas la même chose dans l’Amérique des années 50 et dans la France de 2025.

Ma première vidéo sur Youtube, c'était pour définir la littérature jeunesse!
Si ça vous dit, la voilà!

MAIS quand “jeunesse” est utilisé comme un adjectif pour définir la qualité d’un texte et bah désolée, ça ne veut rien dire.

C’est un mot fourre-tout dans lequel, sans le savoir, on véhicule finalement une méconnaissance et un mépris pour la (littérature) jeunesse.

Mais qu’est-ce que je peux dire alors?!

Pas de panique, je ne vais pas vous laisser comme ça. Voici une petite liste de conseils pour convenablement critiquer votre texte jeunesse.

Au lieu de dire “C’est trop jeunesse”:

  • quand ça signifie “J’ai l’habitude de lire des textes différents” (intrigues plus complexes, écriture plus exigeante, sujets plus sombres ou plus matures, scènes plus difficiles…) → “C’est trop différent de ce que je lis d’habitude” ou si vous n’avez pas accroché, “Ce n’est pas pour moi”. Vous avez le droit de vous dire que ce n’est pas votre came, mais ne mettez pas tout sur le fait que c’est un livre pour enfants. Quelqu’un qui n’aime pas lire de thrillers et qui essaie un roman bien glauque avec des gens coupés en tous petits morceaux qu’on retrouve aux quatre coins d’une ferme abandonnée, je peux vous dire qu’iel va penser la même chose : “Ce n’est sans doute pas mauvais, mais ce n’est vraiment pas pour moi” (et iel ne dira jamais “c’est trop thriller”).
  • quand ça signifie “J’ai lu ça cent fois” (motifs qui reviennent souvent, dynamiques de personnages qu’on a beaucoup vues, manque d’originalité dans l’univers créé…) → Critiquez le genre. Surprise, en littérature jeunesse, il y a quasiment tous les genres représentés en littérature vieillesse. Et si vous trouvez que vous lisez trop d’histoires à base de “iel-est-l’élu·e-mais-ne-l’a-pas-décidé-et-iel-doit-sauver-le-monde-d’une-menace-magique-à-l’aide-de-ses-deux-ami·e·s”, questionnez la surabondance de clichés dans la fantasy.
  • quand ça signifie “Tous les livres jeunesse que j’ai lus se ressemblent je n’en peux plus” → Critiquez la surproduction littéraire. Il n’y a jamais eu autant de livres publiés, je peux vous dire que les libraires n’en peuvent plus non plus, que naviguer dans les programmes de nouveautés donne le tournis. Il y a trop de livres, et beaucoup n’existent que parce qu’il faut surfer sur des tendances sans avoir de véritable qualité littéraire. Ça peut être étouffant et c’est légitime!
  • quand ça signifie “C’était nul” (incohérences, écriture mauvaise, personnages qui font des choix absurdes, aucune surprise…) → “C’était nul”. Beh oui, comme en littérature vieillesse, des fois les livres sont nuls. Alors ne soyez pas vaches, n’allez pas étaler votre déception sur les réseaux sociaux, pensez aux cœurs des auteur·rice·s. Et avec vos proches, argumentez votre propos : qu’est-ce qui était nul à vos yeux, exactement?
  • et quand ça signifie “Je n’ose pas dire que j’aime lire de la littérature jeunesse parce que je suis un·e adulte respectable qui lit de vrais livres” → effectivement, vous n’étiez pas le public cible pour ce bouquin, il n’empêche que vous avez le droit de l’apprécier et de passer un bon moment. Il n’y a pas plus puéril que d’avoir peur d’avoir l’air puéril, non? Essayez plutôt : “C’était vachement chouette j’ai passé un bon moment” 😀

Et dernier point, au lieu de dire “C’était super pour de la jeunesse”, dites: “C’était super”. Enlevez le jugement de valeur, admettez que vous avez juste aimé votre lecture, même si vous faites partie d’un public accidentel pour ce titre. Et si vous devez argumenter auprès d’un·e proche qui hausse les sourcils quand il comprend que le livre dont vous parlez s’achète au rayon enfants, n’hésitez pas à vous inspirer de mon article pour le sortir de ses a priori.


Ce que ça dit de notre rapport à l’enfance

Je n’ai pas fait de recherches théoriques mais il me semble qu’être sans cesse surpris de trouver des œuvres de qualité quand elles sont adressées à la jeunesse, ça montre que notre société a beaucoup de mépris pour l’enfance. Qu’on ne l’écoute pas, qu’on ne la regarde pas, qu’on ne la prend pas en considération, qu’on estime qu’elle ne mérite pas d’avoir de belles œuvres parce qu’elle ne saura pas les apprécier.

C’est Clémentine Beauvais qui écrivait sur son blog : “Les adultes doivent apprendre à accepter l’existence d’une littérature d’excellence dont ils ne sont pas les destinataires privilégiés.” Il n’y a pas à se sentir exclu·e parce que le livre que vous avez aimé se trouve dans un rayon qui ne vous est pas dédié. Les enfants s’emparent de la littérature vieillesse tout le temps, vous avez le droit de faire des incursions en littérature jeunesse et d’aimer ça, même si ça n’a pas été écrit pour vous.

J'ai fait il y a quelques années une vidéo sur l'intérêt de lire de la littérature jeunesse
quand on n'est plus un enfant, je l'aime encore beaucoup!

Et vous avez peut-être dévoré La Passe-Miroir en vous demandant bien ce que ça faisait au rayon ado, n’empêche que ça a été écrit, édité, publié et promotionné pour des ados. Ça ne veut pas dire que vous devez vous excuser ou vous expliquer sur le plaisir que vous avez eu à lire cette série.

Je conclurai en disant que “C’est trop vieillesse de mépriser la littérature jeunesse”.

Et bim.

Il y a encore plein de choses à dire et je ferai sans doute un second article sur ce sujet, mais je suis curieuse d'avoir vos ressentis, n'hésitez pas à me laisser quelques commentaires pour me dire ce que vous pensez de tout ça!



Celui où elle donne cours à la fac

jeudi 31 juillet 2025

Je vous parlais il y a quelques temps de mon épanouissement personnel, de comment je m’éclate dans notre librairie, de chouettes opportunités qui me sont proposées… Et bah aujourd’hui justement, j’ai envie de faire un petit retour sur cette nouvelle aventure folle qui a été de, cette année, donner cours à des futur·e·s libraires à l’IUT Infocom de Tourcoing.

Qui?! Moi?! Pour de vrai??

Lors de la troisième année de leur BUT, les libraires en devenir ont beaucoup de cours de fonds, c’est à dire que des professionnel·les de la librairie se relaient pour leur présenter un rayon, ses spécificités, et dresser une bibliographie suffisante pour leur donner de bonnes bases pour leurs débuts en librairie. Iels sont tous·tes également en alternance lors de cette troisième année, alors iels ont tous·tes déjà une certaine connaissance du fonctionnement d’une librairie.

Et v’là-t’y pas qu’on me propose de donner le cours sur le roman ado… le roman junior? On va dire le roman jeunesse.*

*personne n’est jamais d’accord avec les étiquettes de ces rayons, qui changent sans cesse et qui englobe autant les petites séries divertissants comme Le journal d’un dégonflé et les traumatismes de Hunger Games. Donc : roman jeunesse. Voilà. Hop.

Quatre heures de cours, deux séances de deux heures, pour déverser mon savoir sur ce rayon de façon pédagogique, exhaustive et au moins pas trop plombante.

On me propose aussi de donner pour la première fois un cours sur le rayon jeunesse adapté et accessible! Un petit aperçu en deux heures, pour montrer un peu ce qui existe et que les étudiant·e·s puissent découvrir des adaptations qu’iels ne connaissent pas.

Je dis oui, banco, méga cool, trop contente. 

C’est parti mon kiki.

Pas facile de savoir par quel bout prendre ce machin-là. Mon expérience de l’enseignement se résume à deux années comme assistante pédagogique dans des écoles primaires où je faisais plus de rangement et de photocopies qu’autre chose. Et puis, SIX HEURES de cours, ça se remplit : au début, j’ai l’impression que je ferai le tour en vingt minutes et qu’il sera difficile de meubler. Je prends un petit bout d’histoire du roman jeunesse, je saupoudre d’études faites par le CNL, je remue quelques heures avant d’ajouter un soupçon d’expérience terrain…

Et puis finalement, elles sont finies, mes belles présentations. Je leur donne un look de journal intime pour faire “prof sympa” et puis de toute façon on va principalement parler de romans destinés aux 9-14 ans, alors autant partir dans un petit délire carnet secret.

Je ne pensais pas que je serais aussi stressée la veille de donner mon premier cours. Je vérifie douze mois mes horaires, le trajet, le numéro de la salle… J’ai l’impression de faire ma rentrée, et la voix de ma mère résonne dans ma tête, “il te faut une tenue de rentrée”, je vais compenser le manque d’assurance avec une tenue pleine de couleurs comme je les aime. Ça marche un peu, je suis prête.

J’arrive en avance et je m’installe dans une salle où une partie des étudiant·e·s est déjà installée. Notre propre étudiant-alternant de notre librairie à nous (coucou Valentin) me dégaine les deux pouces pour m’encourager. On est en avril, la salle est un terrarium, j’ai déjà méga chaud, heureusement que j’ai prévu une bouteille d’eau, ok tout le monde est là, on inspire et fiouuuuuu c’est parti!

Mon role model

Ça passe super vite, bien sûr, j’ai des échanges passionnant avec les étudiant·e·s, je suis de plus en plus à l’aise au fur et à mesure que je parle, et c’est déjà fini. Je recommence deux semaines plus tard avec la seconde partie du cours sur le roman, où tout le monde participe à faire des bibliographies de maboule-dingos sur les différents genres présents dans ce rayon. Encore un mois plus tard, je viens avec deux sacs de livres empruntés à la librairie, pour montrer aux étudiant·e·s à quoi ressemblent des livres traduits en FALC, des livres adaptés aux personnes dyslexiques, des livres en braille, des livres sur les habiletés sociales…

Ensuite, vient un moment rigolo, celui de corriger les devoirs donnés aux futur·e·s libraires sur le roman jeunesse. Je leur avais demandé de préparer une sélection sur le thème de leur choix, en essayant de ne choisir que des titres de maisons d’édition différentes. Et il y a eu des idées sensationnelles, j’ai été admirative devant autant de créativité, ça m’a fait chaud au cœur!


Qu’est-ce que j’ai appris en donnant ces six heures de cours?

  • Moi qui pensais passer inaperçue quand je dormais sur mon bras en cours à la fac : raté, ça se voit direct, lea prof ne peut pas le louper. Iel décide juste de n’en avoir rien à péter. (Et j’ai fait pareil.)
  • Je n’ai aucun problème à parler pendant deux heures de littérature de jeunesse. Donnez-moi un auditoire et je fais un exposé sur ce que vous voulez. JE GÈRE. Alors ok j’avais bossé le sujet mais j’ai fait des digressions ou des précisions, de tête, dont je ne me savais pas capable. Je commence à vraiment bien m’y connaître, mine de rien. Et j’arrive même à faire des petites blagues pour que le-dit auditoire pense passer un bon moment.
  • Un peu dans la même veine : je commence à avoir pas mal d’expérience en librairie (11 ans cet automne mine de rien!) et j’ai suffisamment de bouteille pour pouvoir donner des conseils de rangement, d’animation ou de théâtralisation sans aucun souci.
  • Je sous-estimais le temps passé sur les corrections et le casse-tête des barèmes de notation. Big up à tou·te·s les enseignant·e·s qui passent un temps incalculable à travailler loin des regards pour corriger des piles de copies. C’est un travail titanesque.

Et puis surtout : j’ai adoré cette expérience. La littérature jeunesse, c’est une très grosse partie de ma vie, et de pouvoir compiler ce que j’ai appris et expérimenté dans mon travail m’a beaucoup plu. J’ai à la fois eu la sensation de faire un bilan de ce que je sais, et de partager ça avec des gens que ça intéresse (…ou qui étaient obligé·e·s de m’écouter. Meh. Ça me va aussi.)


Je rempile pour une nouvelle année en 2025-2026, j’ai pris des notes sur ce que je veux améliorer, et j’espère pouvoir transmettre une infime partie de mon attachement à la littérature jeunesse à une nouvelle vingtaine d’apprenti·e·s libraires.

Manifeste pour la littérature jeunesse de demain

lundi 21 avril 2025

Cet article a été écrit pour le n°100 de Citrouille, la revue des librairies Sorcières (spécialisées en littérature jeunesse). On y fête bien sûr le numéro 100 du magazine, et j'ai voulu écrire un petit quelque chose pour imaginer la littérature jeunesse de demain!

Vous pouvez retrouver Citrouille en consultation gratuite sur le site Citrouille Hebdo, et feuilleter ce numéro en cliquant ici ou en le réclamant dans votre librairie sorcière préférée (il est gratuit!).

La littérature jeunesse a toujours été une éclaireuse. Elle est la marmite magique où bouillonnent les idées nouvelles, les utopies ensoleillées et les lendemains qui chantent.

Ces dernières décennies, on a vu déferler dans les rayons des livres un peu moins roses et bleus, blancs, neurotypiques, validistes. Quelle bouffée d’air frais! Enfin, les livres que nous mettions à disposition de la jeunesse représentaient un peu mieux la vraie vie, riche et pétillante. Ces tendances suivaient les mouvements sociaux : les soulèvements lors de #MeToo ou de #BlackLivesMatter, de meilleures compréhensions des troubles neuroatypiques, un climat propice à une plus grande expression des identités LGBTQIA+, une prise de conscience croissante de l’urgence climatique…

Mais il y a encore du chemin à faire, et à l’heure où les fascismes montent en puissance partout dans le monde et les discours de haine décomplexés pullulent dans la sphère publique, les auteur·ices, éditeur·ices et illustrateur·ices ont un rôle à jouer. Et les libraires, médiathécaires, professionel·les du livre et de l’enfance se doivent d’accompagner les efforts éditoriaux pour encourager la jeunesse à cultiver l’espoir, l’empathie et la joie d’être soi-même.

Alors profitons de ce centième numéro de Citrouille pour imaginer de nouvelles recettes. Coiffons nos chapeaux pointus et penchons-nous sur notre chaudron : essayons d’y mettre ensemble, professionnel·les du livre, lecteur·ices curieux·ses et rêveur·ses de demain, les ingrédients pour une littérature jeunesse plus savoureuse.

D’abord, laisser la parole aux personnes concernées. La plupart des récits ownvoice* que nous avons en littérature jeunesse en francophonie sont des traductions de l’anglais. L’édition française est encore frileuse à l’idée de publier des livres écrits par des auteur·ices minorisé·es, prétextant parfois que cela rendra le texte “communautaire” ou “trop niche” et qu’il n’aura pas de succès commercial. Les maisons d’édition préfèrent miser sur des succès qui ont fait leurs preuves en anglophonie pour diversifier leur catalogue plutôt que de défendre des textes francophones. Il y a donc très peu de textes qui représentent la spécificité francophone de certaines expériences minorisées. Par exemple, nous avons des dizaines de romans young adult, dans la veine de The Hate U Give d’Angie Thomas, qui dépeignent le racisme systémique américain : nous avons encore trop peu de récits qui mettent en scène ce que c’est d’être noir·e en France, pays qui a une histoire coloniale et un rapport à la race très différents des Etats-Unis.

*ownvoice : ”sa propre voix” en anglais : terme créé par Corinne Duyvis, il signifie que le livre, s’il parle d’une personne ou d’un groupe marginalisé, a été écrit par quelqu’un qui fait partie de ce même groupe marginalisé.

Attention, il n’est pas question d’interdire aux auteur·ices d’écrire sur des sujets qui ne les concernent pas directement! Tout le monde peut s’emparer de tous les sujets! Mais il serait peut-être judicieux de systématiser le recours à des spécialistes de la relecture sensible. La relecture sensible consiste à faire appel à un·e spécialiste du sujet dont il est question dans le livre, qui est généralement concerné·e par la question, pour qu’il ou elle apporte un éclairage sur le texte et indique les problématiques liées à certaines expressions ou façon d’écrire les personnages. Par exemple, il ou elle peut suggérer l’utilisation d’une autre expression à la place de celle employée initialement pour décrire le physique d’un personnage, en expliquant que le texte original est porteur de biais discriminants. Libre à l’auteur·ice de prendre ces suggestions en compte : le tout est de prévenir que “cette phrase tournée de cette façon peut faire du mal à quelqu’un” (Kanelle Valton, relectrice sensible). Cette pratique est systématique dans les pays anglo-saxons, et de plus en plus de spécialistes proposent leurs services en France.

On aimerait beaucoup que les personnes marginalisées puissent vivre des aventures entre les pages qui ne soient pas en rapport avec leur marginalisation. On veut plus de petites héroïnes grosses qui vivent autre chose qu’une histoire de régime, des petits héros malentendants qui explorent des mondes magiques, des adolescents neuroatypiques qui vivent une grande histoire d’amour, des jeunes gens non-blancs qui vivent autre chose que des violences policières! La réalité est bien plus inventive que la fiction, il faut s’en inspirer! Il pourrait être aussi intéressant de développer l’accessibilité à la lecture pour les publics empêchés : à l’heure où les diagnostics de troubles dyslexiques et de troubles de l’attention se multiplient, s’assurer que les catalogues soient les plus accessibles possibles permet à certains publics éloignés de la lecture de s’en emparer. On aimerait plus de livres dys, de livres en FALC*, de livres audios dès la sortie des titres, et pas des adaptations dix ans plus tard!

*FALC = Facile à Lire et à Comprendre. C'est une méthode qui a pour but de traduire un langage classique en langage compréhensible par tous. Le texte ainsi simplifié peut être compris par les personnes en situation de déficience intellectuelle, mais aussi par d’autres comme les personnes dyslexiques, malvoyantes, les personnes âgées, les personnes qui maîtrisent mal le français.

Enfin, il conviendrait peut-être que chaque maison d’édition questionne son catalogue, que chaque librairie interroge son assortiment, que chaque médiathèque étudie son fonds, afin de vérifier que toutes et tous peuvent se sentir visibles. L'invisibilisation est la grande ennemie de l'altruisme et de l'ouverture d'esprit, alors rendre visible est un acte politique et humaniste. Rendre visible, c'est valider le droit à toutes les expériences humaines d'exister et de prendre de la place. Il existe des tas de ressources pour diversifier sa bibliothèque, il faut s’en emparer.

Nous avons donc déjà à notre portée tous les ingrédients qu’il nous faut : à nous de trouver une recette épatante pour qu’au numéro deux cents de Citrouille, nous soyons fières du chemin parcouru!

Je suis curieuse de connaître votre avis sur ces questions! N'hésitez pas à me laisser des commentaires pour me dire ce que vous, vous espérez voir dans la littérature jeunesse de demain!

 
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